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Stratégie « De la ferme à la table » : il est indispensable de mesurer son impact sur la production agricole européenne

Le Parlement européen vient de voter ce 19 octobre les orientations du Pacte vert. En amont, quatre études se sont penchées sur l’impact de certaines de ses ambitions consignées dans les stratégies De la Ferme à la table et Biodiversité. Décryptage des conséquences sur la production agricole d’une réduction de 50 % des produits phytosanitaires avec Eugénia Pommaret, directrice de l’UIPP.

Alors que le parlement européen a adopté le 19 octobre, en séance plénière, le texte du Pacte vert avec ses deux stratégies, « De la ferme à la table » (farm to fork) et « Biodiversité », les objectifs ciblés de réduction des phytosanitaires restent flous. L’orientation fixée à horizon 2030, de moins 50 % des utilisations de pesticides les plus préoccupants par rapport à une référence, interpelle toujours quant aux fondements scientifiques de cet arbitrage, non fondés sur une véritable étude de risque.

Avec les scénarios De la ferme à la table et Biodiversité, la production agricole européenne recule 

La Commission s’est récemment engagée à effectuer une étude d’impact approfondie lorsque les propositions législatives seront plus précises. Cette décision a notamment été prise en réponse aux alertes concordantes de récents rapports. Parmi eux, celui publié en juillet par le Centre commun de recherche de la Commission européenne (JRC). Il s’ajoute aux rapports de l’USDA et de l’université de Kiel en Allemagne. Ils sont complétés depuis le 12 octobre par celui de l’Université de Wageningen (WUR) aux Pays-Bas.

Si ces études ne sont pas complètes, toutes estiment un recul de la production européenne agricole à horizon 2030 d’au moins 10 %. Leurs modèles ont notamment intégré ces mêmes objectifs de baisse des intrants du scenario « De la Ferme à la table », d’accroissement de 25 % des surfaces du bio et de 10 % de celles à vocation paysagères, ciblées dans la stratégie « Biodiversité ».

Pour Eugénia Pommaret, directrice de l’UIPP cet objectif de réduction de moins 50 % qui sert d’hypothèse aux études manque de clarté : « De quoi parle-t-on ? De tonnages globaux ? Si c’est le cas, compte tenu du caractère plus pondéreux des produits utilisés en Bio, l’évolution de l’indicateur pourrait être contre-intuitive. Et quelle serait la référence de comparaison, le point zéro ? Les agriculteurs français réduisent déjà les usages avec des stratégies de protection combinatoires, ces efforts doivent être pris en compte. » Se pose aussi la question de l’impact de cette réduction imposée alors que la dynamique des populations de bioagresseurs est bouleversée par le changement climatique. « Pourquoi ne commande-t-on pas d’études en ce sens sur l’évolution des maladies, insectes et mauvaises herbes les plus représentés en France ? », interpelle-t-elle.

Le rapport sur le Pacte Vert adopté en séance plénière du Parlement européen intègre désormais la référence à l’étude d’impact du JRC, ce qui répond à la demande de nombreuses parties prenantes.

Fragilité des fermes orientées vers l’exportation

Les quatre rapports estiment un possible déséquilibre de la production agricole à horizon 2030. La réduction des volumes produits entraînerait des augmentations de prix, le recul des exportations et une hausse des importations. Pour Eugénia Pommaret, ce déséquilibre est déjà à mettre en regard avec un marché agricole perturbé, une économie mondiale fragilisée suite à la pandémie Covid-19. « La situation ne doit pas être aggravée », complète-t-elle. L’étude de l’Université de Wageningen montre que les impacts sont plus flagrants pour les cultures pérennes, par nature plus sensibles aux problèmes sanitaires. Des « problèmes de qualité », tels des toxines fongiques sur les céréales et des défauts sur les fruits sont un risque complémentaire pouvant grever davantage le revenu des exploitations.  « La solidité des fermes est mise en balance, notamment pour celles orientées vers l’export, analyse Eugénia Pommaret. L’Europe perd sa capacité à valoriser ses atouts pédoclimatiques. » L’étude de Kiel positionne d’ailleurs l’Europe comme importateur net.

L’étude du JRC est la seule à s’appuyer sur trois scenarios de la PAC pour atteindre les cibles des stratégies « De la ferme à la table » et « Biodiversité ». Un effet bénéfique est mis en exergue sur la réduction des gaz à effet de serre, de plus de 30 %, avec de possibles « fuites » vers d’autres pays qui intensifieraient leur production ou augmenteraient leurs exportations.

L’agriculture biologique doit s’appuyer sur les innovations technologiques 

Néanmoins, ces études ne prennent pas en compte les évolutions technologiques ni les plans stratégiques spécifiques à chaque pays qui pourraient soutenir la production. Dans ses conclusions, l’étude du JRC appelle à plus de technologies, plus de soutien politique pour accompagner les transitions agricoles. Il souligne aussi la nécessité de gagner en productivité pour l’agriculture biologique. Un point positif pour la France que souligne Eugénia Pommaret : « Avec le plan France 2030 visant le numérique, la robotique et la génétique, les aides aux agroéquipements, le contrat de solutions, nous sommes déjà engagés sur cette voie mais il faut que ces outils soient largement déployés sur les exploitations. »

Cependant, quel que soit le scenario d’accompagnement soutenu par chaque pays européen, il faudra des politiques publiques cohérentes. Dans le cas contraire, le risque de créer des distorsions de concurrence est réel.